L’attelage

de Colette Touzard

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Un soir, en fin d‘après-midi, on vit passer sur la petite route du hameau un attelage, qui ne faisait pas partie des remorques habituelles qui passent sur la route.

Sur un long essieu qui n’en finissait pas de passer, soutenu par d’innombrables doubles roues, on aurait dit une forêt entière qui se déplaçait longitudinalement sur la toute petite route de campagne. Elle frémissait de tous ses feuillages ; créait ses propres courants fluides dans la lumière adoucie. La remorque tirée par deux chevaux alezans s’arrêta sur la place du hameau, sans raison apparente. J’attendis un peu, par bienséance, et finalement je fis comme tout le monde, je sortis de la maison pour filer sur la place, avec l’air de passer par là par hasard . Je voulais voir. Et j’ai vu. Tout un spectacle.

Peu à peu je parvenais à différencier, entre les rameaux de feuillage vert, des mouvements de toutes les couleurs, certains déployés au ralenti, d’autre plus vifs, moins étroitement soudés aux branchages. Certains déplacements avaient quelque chose d’onirique, d’une lenteur onirique et jaune intense, parfois d’un vert étincelant. Je finis par comprendre qu’il s’agissait de gros oiseaux ventrus, cramponnés à leur perchoir. On m’expliquera plus tard que ces oiseaux nichent habituellement au creux des forêts tropicales. Certains rameaux étaient décorés de longues étoffes soyeuses ; légèrement soulevées ; le vent de la vitesse était totalement tombé. L’une d’elle attirait mon attention par intermittence ; elle était d’un rouge profond, décorée de motifs bleu-nuit et incrustée de petits miroirs qui faisaient bouger l’image des feuilles d’arbres.

J’aperçus sous les branchages une sorte de petite cage en fer forgé clair, comme une maison miniature de plein vent. Accrochée à la même branche mais encore plus enfouie dans les feuillages, luisait une superbe aiguière an long cou et long bec de cuivre. Autour d’un tronc s’entremêlait tout un écheveau de ficelles au bout desquelles pendaient des outils, indéchiffrables. Certains ressemblaient à des récipients en argile, d’autres, très plats, étaient incrustés de signes cunéiformes, d’autres métalliques, plus ou moins acérés. J’ai même cru reconnaître des instruments à vent, mais tellement rudimentaires. Tout une présence ; encore là.

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Le rythme est ordre cadencé dans la survenance des choses F. Neveu

Bulletin de l’Atelier

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