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Quelqu'une de Saga, Quelqu'une vraie Maeght

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Parce que les jours de blues, de grisaille intérieure, on peut se dire : "Bof, finalement à quoi ça sert l'art ?" A quoi ça sert de prendre encore du temps pour ça sur son temps libre ? Ou d'en parler, même, à mon entourage pour l'envisager, quand pour lui ça ressemble à du luxe ; ça en a le goût, ça en a l'odeur, ça en a le coût souvent. Et c'en est, c'est vrai ; pour autant je dis que c'est un luxe vital.
Attendez, prenons un instant. Pour quoi d'autre l'être humain aurait-il inventé l'art, pour tenter d'œuvrer à entrer dans son humanité ? Par exemple dans le nord de l'Australie, il y a 28 000 ans ce qui est bien avant Lascaux, des œuvres réalisées sous simple abri rocheux, sans autre protection tout le temps de faire le geste, contre les bêtes sauvages, les évènements du climat, l'agressivité alentour et des situations tout de même comme trouver à manger, dormir tranquille, fonder une famille, élever des enfants, occuper un rôle social...
Que pourrions-nous en dire ?

Par exemple. Quelqu'une dans un livre fait le point. De sa vie, certes. Aussi le point de l'expérience professionnelle, mon langage a fourché en l'écrivant et j'ai d'abord dit de l'espérance professionnelle, que lui a offert jusque là cette vie. Yoyo Maeght a passé son enfance, comme tout enfant sans le savoir puisque le monde est encore dans sa tête, dans l'océan de l'art ; et y reste jusqu'à 4 ans avant ce livre.
J'hésitais entre le bain de l'art, la piscine, la marmite, la rivière, le fleuve ; non c'est bien l'océan au bout du chemin, entre la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence et la Galerie Maeght, l'atelier Maeght, les éditions Maeght à Paris. Ce n'est pour l'enfance qu'avec les voyages, les départs, l'âge adulte, qu'arrive peu à peu le proverbe guatemaltais : "Le monde est trop grand pour rentrer dans ta tête, alors va dans le monde."
Yoyo en naissant était déjà dans un monde immense, qui lui est transmis, ceci de la liberté intime devant la création. Elle voit dans son paysage intérieur comme dans sa vie dehors un Homme qui marche qui demande 30m x 40m d'espace vital dans la cour pour ses 2m20 de haut. Elle voit des peintures de Miro comme des évidences, des ânes de Chagal et des arlequins, des lapins, des violons et des fleurs sur le mur de sa chambre ; elle se demande à l'expo monumentale de Malraux, (Souvenons-nous, nous autres !) ce mondial "Musée imaginaire", ce que vient faire là l'impensable de réalisme "Douanier Rousseau". C'est quoi ça ?

Ca, c'est que je dois faire lui répond Aymé Maeght. Les institutions n'en voulaient pas, il avait à le défendre. Certes Aymé est son grand-père, son Papy ; Aymé est aussi d'Aimé et Marguerite Maeght, ce couple d'êtres humains pour les autres comme il en existe peu, et c'est ça qui empreinte le plus la fillette. Car pour l'occasion le verbe empreinter, entre emprunte et imprime, existe nous le décidons pour eux.
Lorsqu'il explique à sa petite-fille son rêve : "rendre publiques, donner au public dans le temps présent ces oeuvres que nous accompagnons et qui se situent 20 ans plus tard", elle ressent cette tension intérieure du temps de tout être comme un enfant qui écoute et demande : "Mais nous, Papy, on est où ?"
Elle est au coeur de cette connivence, elle peut y être, car l'enfant sait et ne sait pas encore que son univers, pour autant, même avec des Rolls Royce et des dizaines de gens de maison, est loin d'être idyllique ; les parents, les adultes, dont Prévert, y font des farces hallucinantes, identitaires. Lui font croire qu'elle est une enfant trouvée jusqu'à ce qu'elle découvre la vérité elle-même et court l'annoncer à sa grand-mère qui n'est très certainement pas au courant !

Alors on ne peut que se dire que c'est cet art, où elle baigne, cet art et son passeur de Papy qui ont résolu comme au sens chimique du terme son existence. Le réel est le réel, certes, mais ici on peut s'en échapper pour s'en guérir. C'est curieux d'ailleurs comme on entend peu parler de ceci, pour moi de cette horreur, dans les résonnances de lecture.
Car l'enfance en général est une enfance bien faible, avec peu d'autres moyens, dans un monde d'adultes. Mais l'art n'en a que faire, des forces et des faiblesses, il parle aux forces intérieures et il n'y a pas d'âge pour s'abreuver de ses oeuvres, s'abroeuvrer. L'art ne s'adresse pas à un âge ; ou bien s'adresse à tout âge ; il est hors temps. "Et nous on est où Papy ?" Ceci cultive chez cette enfant une exigence extrème à devoir le comprendre, cet art, lorsqu'on lui a fait croire et qu'elle baigne dans une farce inouïe portée par tous les adultes puisque tout le monde s'est tu, qu'elle découvrira elle-même en fouillant comme tout ado dans les greniers quelconques qu'on lui a menti sur son origine.
Je ne vais pas vous raconter les 20 premières pages.
Pour moi ce livre dans ses deux premiers tiers est un enseignement qui dépasse bien les catégories sociales, les origines, les milieux, les connaissances, les religions, les cultures. Pour moi, c'est d'abord un livre sur l'art comme une nécessité vitale dans une part propre à tout être. Et par son existence, c'est un livre dans ses deux premiers tiers sur la nécessité de l'écriture pour évoquer tous les autres arts, en extraire par devers soi tous les enseignements, rendre aux autres, au grand-père tout ce qu'on lui doit de ce qu'il a donné, certes, presque surtout de ce qu'on lui a pris - ce qu'il nous a ap-pris.
Un livre qui dit que par exemple, pour Yoyo Maeght, lorsque les arts sont investis autour de soi par les autres, il reste celui de les accompagner ; puis de les écrire ; du fait de les avoir vécus, ces arts et ces autres.

Peut-être reste-t-il au fond de la coupelle une pépite, que nous ne connaissons pas encore, soi-même comme un autre lorsque nous écrivons, qui donne dans ses rayons le goût d'un art de vivre et dans ses reflets, ses flamboiements, sa matière lourde quand on la met dans la balance avec ce qu'il y aurait d'autre à faire si on continuait comme avant ; une pépite comme un jardin public secret, un square tout au bout d'une allée cavalière, la croyance comme l'est un rêve vrai, I have a dream, en l'existence inconditionnelle, sans conditions, de son propre devenir libre. C'est Yoyo elle-même, si ma reformulation est bonne, qui lorsqu'elle en parle en conférence parle ainsi.

 

 

 

 

 

  

C'était à propos de Yoyo Maeght, dans "La saga Maeght".
Et de vous :-)

 

 

 

quelques-uns de mes travaux
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